Le Concorde : un rêve de vitesse au crash commercial inévitable ?
On le surnommait l’oiseau blanc. Mais aujourd’hui, quand on parle de lui, c’est encore et toujours son nez qui nous vient à l’esprit : le Concorde. Capable de relier Paris à New York en à peine 3h30, l’avion supersonique était destiné à révolutionner l’aéronautique civile. Ce grand projet industriel lancé dans les années 60 va pourtant se terminer sur un échec. Le crash de Gonesse a été le coup fatal porté à un projet moribond. Le rêve Concorde était-il voué à l’échec ? L’Histoire continue se replonge dans cette aventure industrielle et aéronautique hors norme, à une époque où le mythe de la vitesse éclipsait tout le reste.
La vitesse d’un avion supersonique : un pari sur l’avenir
Concorde, c’est la vitesse et l’émergence d’une technologie européenne révolutionnaire. Le projet de Concorde, mené par la France et la Grande-Bretagne, est lancé en 1962. L’idée est de créer un avion beaucoup plus rapide que tous les autres. Un engin sans nul doute cher à l’exploitation et à l’achat, mais qui volerait à une vitesse deux fois supérieure à celle du son et qui répondrait aux « attentes de l’homme moderne ». Ceux qui se sont penchés sur son modèle économique pensent que le jeu en vaut la chandelle, et ce malgré sa capacité limitée de passagers (100 personnes). Nous sommes dans les années 60. L’espoir dans le progrès est immense. Et le progrès, c’est la vitesse.
Ce pari sur l’avenir est lancé et il s’avère dans un premier temps payant. Au début des années 70, le Concorde a déjà effectué un premier vol d’essai et le carnet de commandes est plein ou presque : 74 commandes ou options sont prévues par seize compagnies aériennes.
André Turcat : pilote d’essai Concorde « Nul doute que la vitesse sera un terme du progrès »
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Un avion coûteux, bruyant et polluant
Mais en 1972, le développement de l’avion coûte déjà beaucoup plus cher que prévu. Un an plus tard, le choc pétrolier va rendre les compagnies aériennes encore plus frileuses, les compagnies nord-américaines notamment. Le prix du baril s’enflamme alors que le Concorde consomme une quantité astronomique, et bien plus importante qu’un avion normal, de kérosène. Bref, « le plus bel avion du monde ne se vend pas » constate-t-on.
Les autorités européennes veulent néanmoins s’accrocher au projet Concorde, que certains ont appelé « le programme Apollo de l’Europe ». « Si le Concorde était abandonné aujourd’hui, nous pourrons être certains que dans sept ou huit ans, nous allons voir toutes les lignes aériennes mondiales acheter un avion supersonique américain », prévient Christopher Layton, le chef de cabinet de la CEE (ancêtre de l’Union européenne), en 1973. Le Concorde symbolise un enjeu fondamental de concurrence entre l’Europe et les Etats-Unis. Dans la course aux nouvelles technologies, l’Europe tient à se faire une place.
Le 21 janvier 1976, les deux premiers vols commerciaux décollent finalement, en grande pompe. L’un de Paris à destination de Rio de Janeiro, en passant par Dakar ; l’autre de Londres, à destination de Bahreïn. Mais un nouvel obstacle se pose. Sur le trajet du Concorde, les vols transatlantiques, plus demandés, sont forcément les plus rentables. Il faudrait pouvoir atterrir à New York. Nous sommes en 1977, et les autorités locales refusent à cause du bruit et de la pollution. Le Concorde fait plus de bruit que les autres avions. Les pressions franco-britanniques ne manquent pas, y compris même celle du Parti communiste français, prêt à aller manifester directement devant la Maison-Blanche en cas de refus d’atterrissage à New York.
Inauguration des vols commerciaux de Concorde le 21 janvier 1976
Accident de Gonesse : capture d’écran d’un extrait du JT
Concorde of the Air France, Airport Basel Mulhouse
Progrès ou prestige ?
Les New-Yorkais finissent par accepter que le Concorde se pose sur leurs pistes. Le Concorde vole, mais il n’y aura jamais beaucoup d’appareils. Quatorze avions en service entre 1976 et 2003. Sept exploités par Air France, sept par British Airways. Il a l’image de l’avion des hommes d’affaires, qui peuvent faire l’aller-retour Paris New-York sur une même journée. Mais finalement, c’est peut-être plus un vol de prestige qu’un véritable outil de business.
Les vols coûtent excessivement cher. Et pour cause : ce fameux aller-retour transatlantique exigeait 150 heures d’entretien en moyenne, contre « moins de 10 heures pour un avion traditionnel », nous explique Jean Colard, consultant en aéronautique. Relativement lourd (200 tonnes), l’avion est doté d’un nez basculant pouvant se relever une fois en altitude, et « il lui fallait des métaux particulièrement résistants et de nouvelles formes de métaux » pouvant supporter le réchauffement causé par les frottements de l’air à grande vitesse. « Cet avion grandissait de 20 cm lorsqu’il était en altitude à Mach 2 (ndlr : 2469,6 km/h) et se rétrécissait à l’atterrissage. La cellule était mise sous forte tension. L’usure de l’appareil était beaucoup plus rapide que sur un avion traditionnel », insiste Jean Colard. Ce rêve supersonique était peut-être voué à l’échec. « C’est une technologie qui n’est certainement pas adaptée à l’aviation civile ».
Cette épopée industrielle prometteuse s’est mal terminée. Quand un de ses avions s’écrase sur un hôtel en banlieue parisienne, quelques minutes à peine après avoir décollé de l’aéroport de Roissy le 25 juillet 2000, le modèle économique du Concorde est déjà en péril. Ce crash a entraîné la mort de 113 personnes ; l’ensemble des occupants de l’avion et 4 personnes au sol. Une lamelle métallique tombée d’un autre avion sur la piste serait à l’origine de l’accident. Ce drame humain marque l’épilogue d’une grande saga. Le dernier vol Concorde a eu lieu en 2003.