Sur les « carences » des nouvelles autorités : Me Moussa Diop met les pieds dans le plat
Membre de la coalition présidentielle, pour ne pas dire ‘‘Diomaye Président’’ qui est en léthargie, Me Moussa Diop a apprécié, dans un entretien accordé à SourceA TV, les premiers pas des nouvelles autorités au pouvoir, sans jamais perdre sa liberté de ton comme on le connaît. Disons que l’avocat n’est pas totalement rassuré par certains actes, aussi immatériels soient-ils, posés particulièrement par le Premier ministre. De l’affaire dite Aser, au sort réservé par Barthélémy Dias par ce dernier, en passant par l’indépendance des magistrats, jusqu’à la transhumance entretenue par le Pm et les polémiques autour de certaines nominations, l’avocat est sans langue de bois. Soit dit en passant, le leader de AG/Jotna est désormais convaincu que les nouvelles autorités sont plus autoritaires que Macky Sall, en ce sens, selon lui, qu’elles inspirent la peur dans leur propre camp. Entretien…
Le Cour des comptes devrait incessamment publié son rapport sur les finances publiques. Avez-vous une idée du contenu de ce rapport ?
Me Moussa DIOP : Il y aura problème dans tous les cas. Si la Cour des comptes confirme les informations d’Ousmane Sonko, ce sera un problème pour l’ancien régime. Si elle infirme ces propos, c’est la Cour elle-même qui aura problème. On se posera la question de savoir pourquoi elle n’a pas publié les rapports depuis 2017 alors qu’ils sont des magistrats indépendants en principe ? La loi dit simplement qu’il faut donner la primeur au Président de la République, mais elle a l’obligation de publier annuellement les rapports. C’est anormal de ne pas les publier ! Dans ce cas, la Cour des comptes aura participé au carnage sur les finances publiques pour n’avoir pas publié les rapports, sans oublier que l’actuel ministre des finances était avec eux en tant que Directeur du budget.
« La Cour des comptes aura participé au carnage sur les finances publiques pour n’avoir pas publié les rapports depuis 2017, sans oublier que l’actuel ministre des finances était dedans en tant que Directeur du budget »
Source A TV : Pourtant le Premier ministre a lavé à grande eau son Ministre en dégageant ses responsabilités dans cette supposée affaire de maquillage des chiffres même si d’autre part, certains soulèvent ce qu’ils appellent l’affaire Aser en faisant croire qu’il s’agirait du premier scandale présumé du nouveau régime. Comment appréciez-vous tout ça ?
Me Moussa DIOP : D’abord, je voudrais faire noter qu’ils parlent beaucoup, il faut qu’ils aillent travailler. Ils sont élus pour ça. Déjà, ils ont commis beaucoup d’erreurs. J’en veux simplement pour preuve, l’interdiction de sortie du territoire national collée à certaines personnalités publiques. Les nouvelles autorités n’avaient aucun droit de ne pas notifier aux concernés la décision de leur interdiction de sortie du territoire national. J’étais monté au créneau pour le dénoncer. Elles ont fini par lever cette décision.
« Sur l’affaire concernant l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (ASER), je peux dire qu’il y a des indices graves et concordants qui montrent que quelque chose d’anormal s’est passé. Je défie quiconque qui défend le contraire »
Sur l’affaire concernant l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (ASER), je peux dire qu’il y a des indices graves et concordants qui montrent que quelque chose d’anormal s’est passé. Je n’accuse personne, mais j’ai les preuves de ce que je dis. Le dossier a été signé sous l’ancien régime. Mais le financement, à hauteur de 37 milliards, a été débloqué sous l’actuel régime. Et dans cette somme, 2 milliards ont disparu. Personne ne sait où est passé cet argent. J’ai la preuve de ce que je dis. Celui qui défend le contraire n’a qu’à me démentir. C’est la Banque espagnole qui a avancé son argent pour l’exécution de ce projet. Les nouvelles autorités plaident pourtant pour la transparence, elles n’ont qu’à nous dire où est passé cet argent.
« Les nouvelles autorités plaident pourtant pour la transparence, elles n’ont qu’à nous dire où sont passés les 2 milliards qui ont disparu à l’Aser »
Deuxièmement, le contrat a été renégocié par l’Aser tout en sachant que c’est un marché public. Pourtant, la loi dit qu’il fallait au préalable soumettre à nouveau le marché à la DCMP (Direction centrale des Marchés publics). Ce qui n’a pas été le cas. Je suis juriste d’affaires. Je sais ce dont je parle. Le contrat a été renégocié, il fallait saisir la DCPM pour son avis technique et juridique. Cela n’a pas été fait.
Troisièmement, l’ARMP (Autorité de régulation des marchés publics), devenue ARCOP (Autorité de régulation de la Commande publique), a saisi l’Aser, par une décision du 2 octobre dernier, pour lui demander de lui fournir des informations liées notamment aux financements. Jusqu’à présent, l’Aser ne s’est pas exécuté. Où est la transparence dans tout ça ?
« Si l’Etat se permet de porter plainte dans cette affaire, c’est parce qu’il a constaté des irrégularités dans ce dossier »
Quatrième élément, l’Agence a fait un recours à la Cour suprême, mais la Cour a rejeté. Cinquièmement, le ministre des finances et du budget a porté plainte dans ce dossier. Si l’Etat se permet de porter plainte dans cette affaire, c’est parce qu’il a constaté des irrégularités dans ce dossier. Ousmane Sonko s’est permis de dédouaner publiquement le patron de l’Aser en plein meeting politique à Dakar Aréna ; ce n’est pas à lui de le faire. Il n’est pas juge.
« Si lui (Ousmane Sonko) pense que Moussa Diop peut lui poser problème, c’est son problème. S’il veut des moutons, moi je suis un mouton. Ousmane Sonko n’est pas plus travailleur que moi »
Source A TV : Avez-vous un problème avec Ousmane Sonko ?
Me Moussa DIOP : Il faut le lui demander. En tout cas, je suis du côté de la vérité. Je suis un homme de valeur et de principe. Et pourtant, je n’ai pas de problème avec Diomaye. Il m’arrive de l’avoir au téléphone et je sais qu’il est chargé. Mais si lui (Ousance Sonko) pense que Moussa Diop peut lui poser problème, c’est son problème. S’il veut des moutons, moi je suis un mouton. Ousmane Sonko n’est pas plus travailleur que moi. Ce régime est plus autoritaire que celui de Macky Sall. C’est pourquoi, les nouveaux Directeurs n’osent même plus piper mot. Vous avez vu que Cheikh Omar Diagne, même s’il a fait des bêtises, a été limogé pour ses propos…
« Ce régime est plus autoritaire que celui de Macky Sall (…) Ils veulent “pastifier” l’Etat. Or l’Etat et le parti, ce sont deux choses différentes »
Source A TV : Dans la même veine, nous avons assisté à une vive polémique autour de la nomination d’une sociologue, avant celle autour de Samba Ndiaye. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Me Moussa DIOP : Ils veulent “pastifier” l’Etat. Or l’Etat et le parti, ce sont deux choses différentes. Je demeure convaincu qu’ils doivent privilégier la compétence. La dame (Aoua Bocar Ly Tall), à ma connaissance, vivait au Canada. Elle donnait son point de vue sur certaines choses. Mais depuis quand donner son point de vue est devenu une infraction ? À la conquête du pouvoir, qu’est-ce que les nouvelles autorités n’ont pas dit sur les dignitaires de l’ancien régime ? Maintenant qu’ils sont au pouvoir, personne ne doit parler. Il y a un problème. Toutefois, il faut noter que le décret est déjà pris, la nomination est irrévocable pendant 6 ans. Nous allons voir si c’est le parti avant la patrie ou autre chose…
« Pour ces querelles de borne fontaine, le Premier ministre n’avait pas à sortir alors qu’il y a d’autres priorités devant lui (…) La priorité pour ce nouveau régime, ce n’est pas de construire un siège pour son Parti »
Source A TV : Est-ce qu’un Etat doit fonctionner de cette façon ? Le Premier ministre devait-il des explications à ses militants ?
Me Moussa DIOP : Dans son speech, c’est le PM et le chef de parti en même temps qui parlait. Il a parlé de justice à coller sur le dos des responsables de malversations financières. En tant que Premier ministre, j’estime qu’il devait prendre de la hauteur. Pour ces querelles de borne fontaine, il n’avait pas à sortir alors qu’il y a d’autres priorités devant lui. Ça souffre de partout ! Il y a une inflation qui commence… On a critiqué l’endettement. Est-ce qu’il est sorti ? Ils sont attendus sur les souffrances des Sénégalais. D’ailleurs, c’est l’occasion de dire que la priorité pour ce nouveau régime, ce n’est pas de construire un siège pour son Parti.
« La coalition Diomaye Président n’existe plus ! Le Premier ministre n’en veut pas. Il l’a clairement manifesté. Par ses actes, il a montré que c’est son Pastef qui l’intéresse »
Source A TV : Quelles est la position de Me Moussa DIOP sur l’abrogation ou non de la Loi d’amnistie ?
Me Moussa DIOP : D’emblée, je n’ai jamais été d’accord avec la loi d’amnistie. On ne peut pas cautionner l’acte : Dirigé pendant 12 ans ce pays pour après effacer toutes les conneries qu’on a eues à faire pour se réfugier derrière cette loi, c’est inacceptable ! Ce n’est pas l’exemple qu’il faut donner. Avant de pardonner ou d’effacer, il faut d’abord tirer cette affaire au clair, situer les responsabilités. Je suis pour l’abrogation de cette loi, surtout pour les crimes de sang et que tout le monde aille répondre devant la justice. D’autant qu’il est possible de revenir sur la loi, et même de façon partielle. Et si je suis moi-même concerné, ils n’ont pas qu’à m’appeler, j’irai répondre avec ce que j’ai comme documents.
« Les leaders membres de Diomaye Président savent bel et bien que les nouvelles autorités ne les considèrent même pas »
Source A : Qu’est-ce qu’est devenue la coalition Diomaye Président ? Je rappelle que vous êtes membre de cette coalition.
Me Moussa DIOP : La coalition Diomaye Président n’existe plus ! Le Premier ministre n’en veut pas. Il l’a clairement manifesté. Par ses actes, il a montré qu’il n’en a pas besoin. C’est son Pastef qui l’intéresse. Il est en train de le gérer comme il est en train de le gérer. Les leaders membres de Diomaye Président savent bel et bien que les nouvelles autorités ne les considèrent même pas. S’ils restent dans cette coalition, c’est de leur plein gré. La dignité ne s’achète pas ! Le pouvoir non plus n’en vaut pas la peine. En ce qui me concerne, j’ai fait face à un régime. Et j’ai gagné mon procès contre l’État du Sénégal. La justice m’a donné raison en ordonnant le paiement de mes indemnités. Ils ont renoncé à leur appel. Et ils m’ont payé intégralement mon argent. Je pouvais aller négocier mon retour à l’APR ; je ne l’ai pas fait. C’est ce qui a perdu Barthélémy Dias par exemple.
« Je suis un avocat intellectuellement violent ; j’ai récusé beaucoup de magistrats au cours de ma carrière »
Source A : Justement, vous me permettez d’aborder le sujet. Comment analysez-vous le sort réservé à Barthélémy Dias qui a perdu tous ses mandats ? Rappelons que ses gardes du corps ont été libérés aujourd’hui (hier) à Saint-Louis, après la décision rendue par le Tribunal de grande instance.
Me Moussa DIOP : Je condamne ce qui s’est passé à Saint-Louis. Je ne peux jamais cautionner la violence. Je ne suis pas violent, j’allais dire que je suis violent intellectuellement (Rires). Je suis incisive sur certaines choses. Je suis un avocat intellectuellement violent. Parce qu’on est dans des arguments, il faut que l’argument le plus puissant passe pour s’imposer. J’ai récusé beaucoup de magistrats au cours de ma carrière. C’est ça la justice ; quand tu n’es pas un magistrat indépendant je te mets dehors. Je condamne ce qui s’est passé à Saint-Louis, parce qu’il y a eu de la violence là-bas. Mais je salue l’esprit d’apaisement.
« J’ai tenté de réunir les deux hommes (Sonko et Barth) quand cette affaire est survenue. Mais Ousmane Sonko n’en a pas voulu. Il a accéléré les choses pour en fin de compte déchoir Barthélémy Dias »
Mais j’imagine que vous connaissez mes relations avec Dias. Il a eu à m’insulter avant de me présenter ses excuses. J’ai laissé passer sur intervention de Ousmane Sonko à travers son chef de protocole, qui a été travailleur à Dakar Dem Dikk. J’ai retiré ma plainte, il a pu candidater et est devenu maire de Dakar. C’est pourquoi, j’ai tenté de réunir les deux hommes quand cette affaire est survenue. Mais Ousmane Sonko n’en a pas voulu. Il a accéléré les choses pour en fin de compte déchoir Barthélémy Dias. Toutefois, qu’on soit de l’opposition ou du pouvoir, admettons que la loi, c’est la loi. L.277 a-t-elle changé entre-temps ? Non. Cet article est dans le Code électoral et dit que tout électeur de la commune peut saisir le préfet pour constater l’inéligibilité d’un maire. Ce n’est pas un nouveau texte. Sous Macky Sall, le texte existait. Sous Macky Sall, Dias était définitivement condamné depuis Décembre 2023 ; et pourtant, le Président de Pastef avait dit que personne n’allait le démettre de ses fonctions à la tête de la mairie. Même si la loi ne dit pas ça. C’est ça la politique politicienne entretenue dans cette affaire. Et c’est ce qui dérange les Sénégalais ; le respect de la parole donnée est important.
« Le Ministre de l’intérieur et le Ministre de la justice ont fauté sur le dossier de Dias, sous ce régime (…) C’est une cascade de comportements qui se sont passés et qui les lient »
Deuxièmement, en droit, la forme gouverne le fond. Sur la révocation de son mandat de député après que le garde des sceaux a saisi l’Assemblée qui a constaté l’inéligibilité, l’Assemblée nationale devrait-elle s’en limiter là ? Non. Car il y a l’article LO.198 du Code électoral qui dit que le dossier doit être dans la foulée soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel qui est le juge des élections. Il fallait saisir le CC et ils ne l’ont pas fait. Et quand le Conseil est saisi devant cette situation par le concerné, il a préféré rasé les murs en clamant son incompétence. C’est vous dire qu’ils ont entretenu une carence. Le Ministre de l’intérieur et le ministre de la justice ont fauté sur le dossier de Dias sous ce régime. Pour en venir au ministre de l’intérieur, c’est lui qui devait saisir le CC sur l’inéligibilité de Dias et il ne l’a pas fait. Pourtant, le Conseil a été saisi par une personnalité indépendante qui n’en n’avait pas le droit et le Conseil a rejeté ce recours. C’est une cascade de comportements qui se sont passés et qui les lient. C’est vous dire que le nouveau régime apprécie la loi qu’à sa guise.
« Ils ont abandonné ceux avec qui ils étaient avant l’arrivée au pouvoir pour se rapprocher de ceux qui les avaient combattus. Mais c’est leur problème »
Je sais que Dias a fait des bêtises sur le plan politique. Mais en fonction de la météo du moment, c’est le régime en place qui disait à l’époque qu’il ne fallait pas toucher à Dias qui a l’a pourtant démis de ses postes. Ce n’est pas politique, c’est politicien.
« C’est vous dire que le nouveau régime apprécie la loi qu’à sa guise »
Source A TV : Peut-il récupérer sa mairie ?
Me Moussa DIOP : Je ne pense. Parce que la décision est fondée. Tout électeur de la commune peut saisir le préfet. Il y a un électeur de la commune qui a saisi. Sauf qu’il n’est pas n’importe qui. D’ailleurs, il n’est pas le premier à saisir le préfet. Le premier qui a saisi le préfet, c’est un certain Ndir. C’est le lendemain que Gueye a déposé sa lettre. Pourquoi n’ont-ils pas dit ‘‘suite à la requête de Ndir ou suite à la requête du premier. Il y a une dose de politique qui est dedans. On le sait. Pour le poste de député, il y a le principe d’automaticité. Tout député définitivement condamné au pénal perd automatiquement son mandat. Mais la mairie, c’est sur la demande d’un électeur de la commune.
« Je cite M. Mamadou Goudiaby, syndicaliste hors pair avec tout le respect que je lui dois, il est devenu aujourd’hui PCA de Dakar Dem Dikk, parce qu’il est de PASTEF »
Source A TV : Comment Me Moussa DIOP envisage son avenir politique ?
Me Moussa DIOP : J’aspire à diriger ce pays. J’ai le courage qu’il faut pour cela. J’ai géré une maison où j’ai eu zéro grève et zéro préavis de grève alors que les syndicalistes étaient sur leur garde. Je cite M. Mamadou Goudiaby, syndicaliste hors pair avec tout le respect que je lui dois, il est devenu aujourd’hui PCA de Dakar Dem Dikk parce qu’il est de PASTEF. Vous comprenez ce que je suis en train de dire.
« J’aspire à diriger ce pays »
J’ai fait face aux syndicalistes. J’ai toujours eu ma liberté de parole. J’aspire à être Président de la République. Ce n’est pas simplement une aspiration. C’est aussi la volonté de servir mon pays comme j’ai eu à le faire dans le passé. Je n’ai pas été viré pour autre chose que pour mon caractère intransigeant. Un Président de la République doit avoir une certaine posture. Je suis contre la transhumance, je l’ai dit au sein de Diomaye Président. Parmi les gens qui avaient emprisonné Ousmane Sonko, certains ont été casés par le nouveau régime. Ils ont abandonné ceux avec qui ils étaient avant l’arrivée au pouvoir pour se rapprocher de ceux qui les avaient combattus. Mais c’est leur problème. Il y a eu Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et nous aurons d’autres Présidents. Toutefois, je suis de la mouvance présidentielle. Je veux qu’on travaille et qu’on évite les débats en affrontant les souffrances des Sénégalais.